"Elle {sa mère} envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblaient avoir été moulées dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle ? Que signifiait-elle ? Où l’appréhender ?
Et tout d'un coup le souvenir m'est apparu. Ce goût, c'était celui du petit morceau de madeleine (...) Mais, quand d'un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l'odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l'édifice immense du souvenir."
Tel Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, j'ai connu au cours cette année, que je qualifierais presque de chamanique, de violentes attaques du passé...Coupée d'une nature qui a accompagnée mon enfance sans que j'en mesure l'importance, celle-ci est réapparue sauvagement au détour d'un chemin ou à l'orée d'un bosquet, perturbant inexorablement le fil de mes réflexions, venant ainsi à bout de ma fragile concentration...Car au delà de la nature, ce sont bien les souvenirs et les vieux démons que j’ai dû convoquer en changeant de voie...(et drame, ils ont répondus présent...) alors ne pas se perdre en route, tel est aujourd'hui l'enjeu. Puisque l'affectation ne semble pas vouloir m'abandonner, m'est venue l''idée de cet "herbier sensible" composé de petites madeleines végétales...
Nom Scientifique:Albizia julibrissin
Nom Vernaculaire: Arbre à soie, Acacia de Constantinople
Famille: Fabacées
Type:Arbuste ou Arbre à Fleurs
Feuillage: Caduc
Floraison: Juillet-Août
Août à Paris, se balader, prendre le temps de regarder... et découvrir un arbre à soie dans le prolongement d'un trottoir bordant le Luco, au pied de notre dame ou dans le jardin des plantes... Curieuse apparition d'un ancien quidam qui était pourtant là bien avant moi et sur lequel mon regard ne s’était jamais porté...
Frotter son nez dans les étamines et sentir la douceur de la soie et ce parfum délicat... Comme un refuge, un objet transitionnel, se souvenir de l'absence, de la solitude...
Revoir cet Albizia protégeant de son port en ombrelle le portail de la maison et la boite aux lettres qui me reliait durant le long mois de juillet au monde extérieur; échafaudant un monde intérieur... Aujourd'hui il n'est plus et je ne me souviens plus ni quand ni pourquoi il a disparu... Aurais-je encore besoin de lui?
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